La cinquantaine, Georges SERIKI, marié et père de famille, est un expert en gestion des projets de développement. Ancien Secrétaire Général de la Fédération Handisport du Bénin, le self-made-man depuis son parcours estudiantin n’a jamais cessé de donner de sa personne pour le mieux-être des personnes handicapées. A la faveur de la célébration de la Journée internationale des personnes handicapées ( JIPH 2021) le 3 décembre dernier, nous sommes allés à sa rencontre pour en savoir davantage sur la réalité quotidienne des personnes handicapées au Bénin et sur ce qui se fait concrètement pour une meilleure mobilité et insertion professionnelle des personnes handicapées.
Propos recueillis par Roland Achille DIDE
Quels sont les critères qui définissent une personne handicapée?
Il y a deux facteurs fondamentaux dont l’interaction génère le handicap :
- La déficience
- L’environnement
Pour faire court, le handicap nait de l’interaction entre la déficience et les barrières environnementales (naturelles, physiques, comportementales, juridiques, communicationnelles, liées à l’accès aux transports à l’information, aux systèmes des TIC, etc).
Selon la Convention des Nations Unies relative aux Droits des Personnes Handicapées, « par personnes handicapées, on entend des personnes qui présentent des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres».
Il faut préciser que la déficience fait référence à un problème (perte, anomalie, manque) aux fonctions, organes, structures alors que l’incapacité est liée à la gêne fonctionnelle (impossibilité, limitation) à accomplir une activité de tous les jours.
Les personnes handicapées constituent une frange non moins négligeable de la population béninoise. Quels sont les chiffres qui caractérisent l’handicap au Bénin actuellement?
Selon le RGPH4 (2013), l’effectif des personnes handicapées est estimé à 92495 personnes soit 0.92% de la population béninoise. Il s’agit d’un chiffre largement sous-estimé car le recensement de cette frange de la population requiert le recours à des outils spécifiques dont le plus important est l’outil Washington Group (WG). Il s‘agit d’une méthode de comptage qui permet de dénombrer de façon plus exhaustive les personnes handicapées dans leur diversité. En effet, il faut savoir qu’il y a beaucoup de personnes handicapées qui s’ignorent en tant que telles. Ainsi, en tenant compte de cet outil, la population des personnes handicapées dans le monde avoisine 15% de la population mondiale soit environ 1 milliard d’individus. Rapporté au Bénin, l’effectif total des personnes handicapées serait de plus de 1.500.000 femmes et hommes.
Je crois que des démarches sont en cours en lien avec l’INSAE afin que l’outil WG soit pris en compte lors du prochain RGPH afin de dénombrer convenablement les personnes handicapées.
Y-a-t-il une différence dans la perception, le regard ou dans l’approche de la société en ce qui concerne l’handicap physique et celui mental?
Il faut déjà dire que de façon générale, on distingue les 4 types de handicaps :
- Le handicap visuel
- Le handicap auditif
- Le handicap intellectuel (et mental)
- Le handicap moteur.
Il faut ajouter à ces types, les personnes polyhandicapées.
La perception sociale est peu favorable aux personnes handicapées de façon générale; toutefois, il faut reconnaitre que certains types de handicap font l’objet d’une plus grande stigmatisation que d’autres. Il n’est pas rare d’entendre des propos ou des appellations à connotations négatives pour désigner tel type ou tel autre type de handicap. Par exemple, il y a une confusion entre handicap mental et malade mental. Les personnes handicapées mentales sont souvent qualifiées de « fous » par la société. C’est très dur, vous savez ! Les personnes handicapées non voyantes sont qualifiées de « noukountonnon » en langue nationale Fon. Ce qui signifie littéralement « yeux percés ». Ce sont des expressions dévalorisantes qui portent atteintes à la dignité humaine des concernés. C’est absolument réducteur de ramener une personne seulement à son handicap alors qu’elle a des qualités, des compétences et d’autres avantages.
C’est quoi la problématique actuelle du handicap au Bénin?
Actuellement, à ma connaissance, la problématique majeure liée au handicap concerne la prise des décrets d’application de la 2017-06 du 29 septembre 2021 portant protection et promotion des droits des personnes handicapées en République du Bénin.
Les personnes handicapées sont confrontées à une multitude de défis dont les plus importants sont relatifs à l’éducation, la formation et l’emploi. Les décrets d’application de cette loi apporteront à coup sûr des solutions structurelles durables et donc une amélioration significative de la vie des personnes handicapées au Bénin.
« Le handicap ne semble plus être le vrai problème. C’est plutôt notre regard, le regard de la société envers les personnes handicapées qui constitue le noyau de la discrimination. La qualité de notre vivre ensemble dépend de notre capacité à intégrer et à valoriser les personnes porteuses de handicap ». Que pensez-vous de cette déclaration de Véronique TOGNIFODE, ministre des Affaires Sociales et de la Microfinance?
Comme j’ai eu à le dire au début de cet entretien, l’environnement est un facteur générateur de handicap s’il n’est pas rendu inclusif. Le regard négatif de la société est une barrière comportementale de l’environnement de la personne handicapée. Mme la Ministre a raison. En effet, en tant que communauté nationale, notre capacité à intégrer et valoriser les personnes handicapées, est interpellée. L’arsenal juridique du pays fait également partie de cet environnement qu’il faut rendre inclusif. C’est pour cela qu’il convient de saluer la promulgation par l’actuel Chef de l’Etat de la loi 2017-06 du 29 septembre 2017 portant protection et promotion des personnes handicapées au Bénin. Mais, il faut aller plus loin! Je ne doute point de ce que les services compétents du Ministre Véronique TOGNIFODE y travaillent déjà de concert avec les organisations de personnes handicapées à travers la Fédération des Associations de personnes handicapées du Bénin et différents PTF.
Que fait aujourd’hui la Fédération des Associations des Personnes Handicapées du Bénin pour une meilleure mobilité et insertion professionnelle des personnes handicapées?
Sans être mandaté par la Fédération, je puis dire que beaucoup de choses se font et on note un bon déploiement de l’organisation sur l’étendue du pays. De nombreux plaidoyers sont menés à l’endroit des pouvoirs publics pour tenir compte des droits des personnes handicapées. Cette fédération est très active sur le terrain avec l’appui de divers partenaires.
Les décrets d’application de la loi N°2017-06 du 29 Septembre 2017, portant protection et promotion des droits des personnes handicapées ne sont pas encore pris. Quelle réflexion vous inspire cette situation?
En tant que personne handicapée, je pense qu’il y a nécessité et urgence quant à la prise de ces décrets qui soulageraient des milliers de nos compatriotes. Du reste, j’ai foi que les différents plaidoyers porteront leurs fruits.
Quels sont vos espoirs pour un mieux-être des personnes handicapées au Bénin?
Un seul mot résumera mes espoirs INCLUSION.
Il faut lever toutes les barrières. Il faut prendre toutes les mesures tendant à favoriser l’inclusion des personnes handicapées dans la société afin qu’elles puissent jouir de leurs droits et participer pleinement à la société sur la base de l’égalité avec les autres.